D’après les études récentes, en Ardenne, les nutons ont disparu.
Paraît-il par la faute des humains qui ont peu à peu restreint leurs espaces de vie dans nos belles forêts d’Ardenne où ils vivaient tranquillement.
Les nutons, tout comme les sotais, les massotais, les lutins ou autres maniquets (selon les régions où on les trouve) font partie intégrante du patrimoine ardennais.
Au même titre que les forêts, les châteaux, les trésors, les cerfs ou les sangliers.
Ils sont indissociables des contes, légendes et traditions en province de Luxembourg. Je peux bien vous le dire aujourd’hui, ils n’ont pas disparu ! Ils se font tout simplement encore plus discrets qu’ils ne l’étaient déjà au cours des siècles précédents.
Et cette petite histoire vous le confirmera.
Il y a quelques années maintenant, j’ai quitté ma région natale du Hainaut occidental pour louer une petite maison entre Ardenne et Famenne. C’était pour commencer une nouvelle vie de vadrouilleur et une fin de vie tranquille.  
La maison était située sur les hauteurs de Rendeux et un petit ruisseau longeait le terrain pour se jeter quelques centaines de mètres plus loin dans l’Isbelle (ou la Lisbelle, c’est comme voulez ! ).
Un jour où je nettoyais les abords du ruisseau après une crue importante, mon attention fut attirée par quelque chose de rouge

C’était un pan de veste de nuton, presque complètement enfoui sous des gravats et rigidifié par des années sous la terre.
Bizarre autant qu’étrange, comme dirait l’autre.
Au cours de mes lectures pour connaître mieux ma nouvelle région, j’appris que ces petits êtres étaient travailleurs, courageux, doués de pouvoirs quasi surnaturels, mais aussi très espiègles et susceptibles lorsqu’on leur manquait de respect.
Je ne pouvais donc pas ignorer celui qui se trouvait là pour je ne sais quelle raison, sous peine de risquer quelques représailles.
Je me fis donc un devoir de le déterrer. Ce fut plutôt facile : le bord de la veste conduisait à la tête et la tête au bonnet ! C’est tout ce qu’il en restait.

Comme il était difficile d’en faire quoi que ce soit d’utilisable dans cet état, je le plaçais entre les branches d’un noisetier d’où je pouvais voir son large sourire depuis ma fenêtre.

C’était un peu comme le gardien de la maison.
Pendant la pandémie, faute de pouvoir me déplacer librement pour effectuer des marches (plus personne n’en organisait), je continuais à m’intéresser à l’histoire de cette magnifique Ardenne.
Des « Trous à Nutons », il y en avait un peu partout dans la région, dont un pas loin de Hotton où la Lisbelle rejoint l’Ourthe.
En même temps, je me préparais quelques marches dans les environs.
Les jours où le temps ne se prêtait pas trop à ces escapades, j’entrepris de retaper un peu mon « sotais du noisetier » pour lui redonner son intégralité physique.

Après quelques jours de remise en formes, il m’a paru reprendre vie peu à peu.
Un matin, à mon grand étonnement, il m’adressa la parole dans une langue qui m’était totalement inconnue. L’étonnement était sans doute réciproque. Le simple fait de se voir encore en vie devait sans doute aussi le surprendre.
– Douki… Douki…
S’agissait-il de son nom ?
Après quelques recherches à la bibliothèque, j’ai compris que « douki » n’était pas un nom. C’était un des derniers mots de la langue des nutons qui nous est resté et qui signifie « Mort ».
Je compris qu’il me demandait s’il était encore bien vivant !
J’ai pu le rassurer à ce sujet.
N’étant pas encore très érudit en patois ardennais, nous avons pu nous comprendre avec quelques mots de français, d’allemand et de breton, les autres langues officielles du peuple des nutons.
Je l’ai ensuite laissé se reposer. Quand on sort de ce genre de mésaventure, le repos est bien plus réparateur que n’importe quelle autre activité.
Je laissai à sa disposition quelques livres.
Le lendemain matin, nouvelle surprise : il me parlait maintenant en français.
Les livres et dictionnaires qu’il avait pu consulter pendant la nuit lui avaient apparemment été bien utiles !
C’est ainsi que j’appris qu’il ne se souvenait pas de ce qui lui était arrivé si ce n’est qu’il avait passé un long moment enfoui sous la terre avant que je ne le retrouve. Les crues régulières du ruisseau et les dernières inondations l’avaient peu à peu rendu à l’air libre et sorti de son long sommeil.
Son nom ? Oublié.
Son âge ? Oublié.
D’où il venait ? Oublié aussi.
J’ai donc rapidement compris que ce serait à moi de faire le nécessaire pour l’aider à retrouver la mémoire.
En attendant, nous avons conclu ensemble que je le nommerais Wardy, déclinaison personnelle et gentille de « warde » (garde, gardien en patois ardennais) et qu’il trouverait un abri dans le noisetier en attendant de rejoindre sa grotte natale.
Il va de soi qu’il serait le bienvenu dans la maison si l’envie lui en prenait de discuter un peu afin de planifier nos futures randonnées pour retrouver sa maison et sa famille… s’il lui en restait une.
Une petite larme coula sur sa joue qui avait repris quelques couleurs.
-Tope là, mon ami, me répondit-il !
Il apprenait vite !
Le temps a passé.
Sa nouvelle fonction exigeait bien entendu quelques attributs spécifiques, donc je lui ai confectionné une petite réplique de Fal.

Il a bien compris que ce n’était pas vraiment une arme offensive, mais plutôt, comme on dit de nous jours, une « force de dissuasion ». Lorsque vient la nuit, il patrouille en veillant sur les petits animaux qu’il rencontre.

Jusqu’à aujourd’hui, on s’entend bien.
Il me rend visite chaque matin pour un débriefing et la préparation de nos futures marches et retourne ensuite dans le noisetier pour prendre un peu de repos, camouflé en nain de jardin gardien de la maison.
Demain, je l’emmène en visite dans une région où se trouve un « Trou de Sotais », du côté de Fanzel. Qui sait ? Peut-être que sa mémoire lui reviendra un peu ?
Mais bon, comme on dit, demain est un autre jour !