Ca y est ! Notre ami Roland est parti.
Dans un sens, je suis content pour lui ! Il n’aurait jamais aimé qu’on le voie comme de quelqu’un de diminué à cause de soucis de santé qui le minaient peu à peu depuis le décès de sa femme, Janine.
Je l’aimais bien Roland. Lorsqu’il me racontait « une craque », il savait que je le savais. C’était presque devenu un jeu entre nous.
« Alleeez, Roland, pas à moi, hein ! »

Mais là, il faut bien avouer qu’il a fait fort et cela ne me fait pas sourire.
Je le connaissais depuis tellement longtemps. 
En fait, depuis le début de l’Amicale Para-Commando de Mouscron, en 73. Il avait terminé son service militaire depuis quelques années, moi, je commençais le mien.
A cette époque, je le connaissais comme tous les autres membres de notre amicale débutante : très peu !
Avec mon ami Alain B., lui aussi au 2 Codo à l’époque, nous étions les plus jeunes de la bande et avons été les premiers à fêter dans notre premier « local », chez Noëlla, notre « remise de béret ». Cela forge forcément des amitiés avec les plus anciens !!!

Quand il a rempilé à l’armée, j’ai suivi le mouvement et nous nous sommes retrouvés ensemble à Lombardsijde, au 3 Para, avant d’être tous transférés à Tielen.
Je logeais à l’époque dans une petite chambre dans la rue de Tourcoing à Mouscron, je n’avais plus de voiture et pas beaucoup d’argent, et toutes les semaines, mon brave Roland passait me chercher en voiture pour faire la route ensemble jusque la caserne.
On en avait pour 150 km et Janine avait prévu pour nous deux « lunch packet » constitués de quelques tartines bien garnies et d’un flacon de « boisson revigorante ». Elle s’imaginait (à juste titre) que je n’avais pas le temps de déjeuner à 6 heures du matin. Une femme de caractère, Janine, mais comme Roland, le cœur sur la main !
Nos chemins se sont ensuite séparés pendant quelques années.
Heureusement, on se revoyait régulièrement lors d’événements importants de l’Amicale ou lors de marches organisées par l’armée.
C’était à chaque fois de fameuses retrouvailles que je n’oublierai jamais !
Plus tard, le covid est arrivé, et j’ai dû espacer mes visites à Mouscron.
Maintenant, il est trop tard !
Ce qui me rassure un peu, c’est que ses derniers vrais amis se sont inquiété un peu plus de lui que la majorité de ceux  qui seront présents à ses funérailles !
Je pense en particulier à notre ami Urson qui me donnait régulièrement de ses nouvelles depuis le début de la pandémie.
J’évitais bien sûr ces longs déplacements d’autant plus que j’avais une hanche qui me rappelait méchamment que moi-même je commençais à prendre de l’âge !
J’ai donc préféré m’organiser une petite marche souvenir dans mon coin.
Je n’ai pas cherché trop loin. J’avais dans les environs de beaux paysages et une église dédicacée à saint Michel ; Mormont serait donc mon point de départ.

Je connais un peu le coin, je sais donc de quel côté aller pour commencer le trajet que j’ai prévu.
Après un petit salut à Saint Michel, je prends la rue qui descend vers l’Amante. Non Roland, pas amarante, comme ton béret, amante comme… euh… la petite rivière qui porte ce nom.
Arrivé au pont qui la traverse pour rejoindre la nationale, première surprise : devant moi, le vide.

Bon sang ! « Qui c’est le con qui a fait sauter le pont ? »
Je n’ai plus qu’à retourner à mon point de départ pour emprunter un autre chemin pour arriver de l’autre côté de la route et de la rivière.
Dans les environs, il y a un Trou à Nutons que j’aimerais photographier. Je profite du passage d’un natif du coin en promenade pour me renseigner sur l’endroit où il pourrait se trouver. J’ai beau suivre le « petit chemin avant l’étang » qu’il m’indique, impossible de trouver. Je continue jusqu’en haut de la crête. Il y a longtemps que le chemin n’en est plus vraiment un et je suis content d’en trouver un autre un peu plus fréquenté. Je fais donc une boucle pour revenir sur le même chemin par l’autre côté. Je longe le fameux étang et découvre une faille dans la roche qui pourrait s’apparenter à ce que je cherche, mais cela ne ressemble en rien à ce que le promeneur m’a décrit.

J’en conclus que ce n’est pas cela et que ce promeneur était probablement un nuton espiègle qui ne souhaitait pas me dévoiler l’endroit de sa cachette !
A un carrefour de sentiers, je passe sur l’autre rive du ruisseau pour rejoindre Hoursinne.

Alors que je prends une photo quelque peu étonnante, un brave petit vieux vient à ma rencontre. Je lui demande en plaisantant si le monsieur qui habite là vend des cailloux.
Il me répond que ce n’est pas un monsieur mais une dame qui habite là, qu’elle vit seule et qu’elle vient de partir en voiture !!!
Je me surprends à penser « Roland, sors de ce corps » mais je rassure tout de suite le brave homme, je ne cherche ni à me marier, ni à acheter des cailloux, si précieux soient-ils pour cette dame. Un peu d’humour arrive à point en cette triste journée plutôt maussade. Nous continuons chacun nos chemins en riant.

En vue de Mormont, je sais que le mien se terminera bientôt.
Belle petite marche avec mon ami Roland dans la tête. Un peu comme lors des dernières Marches du Souvenir ou des Quatre Jours de l’Yser auxquelles nous avons participé ensemble.
Je faisais les itinéraires des 32 km en essayant de le rattraper, pensant qu’il était parti avant moi. En vain ! En réalité, lui faisait les 16 km en compagnie de deux autres amis militaires. J’ai fini par comprendre mais sans pour autant le lui dire. Il se faisait chaque fois un plaisir de me sourire en sirotant son verre de bière à une table d’où il pouvait me voir arriver avec une langue pendant par terre ! Mais aussi en m’offrant la première pinte de la journée qu’il avait déjà commandée.

Sacré Roland
Tu me manqueras mon ami. Ainsi qu’à beaucoup d’autres.
De retour à la maison, petit passage par le magasin pour m’offrir moi aussi un dernier clin d’œil : un bon verre de coca qu’il appréciait tant. 🙂

Depuis quelques années, vu mes problèmes de santé, plutôt que de chaque fois me déplacer à des funérailles (je n’aime pas trop ce genre d’adieux !), j’ai pris l’habitude de planter des arbustes en souvenir de mes amis disparus.
L’Arbre à Roland sera un noisetier qui a bien passé l’hiver dans son pot et que je replanterai dans le jardin au printemps.

Avec un peu de chance, il vivra bien plus longtemps que nous ! 😉